La Futura (Paul Renner)

La sortie du livre « Futura, une gloire typographique » est une bonne occasion de vous parler de cette police qui a marqué l’histoire de la typographie.

Contexte.
Au début des années 20, tandis que certains typographes prônent la conservation des typographies dites classiques, d’autres, influencés notamment par le Bauhaus de Weimar (et son esthétique liée à la production en série dans le but d’associer art et technique), vont profondément moderniser la typographie. C’est dans cet esprit que Paul Renner, graphiste, typographe et professeur Allemand, va créer, pour la fonderie Bauer, la police Futura qui bénéficie dès sa publication, en 1927, d’un succès commercial sans précédent.

La forme découle de la fonction.
Plus le caractère est simple et géométrique, plus il est utile (« Less is More » disait Ludwig Mies van der Rohe). C’est l’idée que Paul Renner reprend pour sa police. En effet, Renner la dépouille de tout élément qu’il juge superflu, par exemple le o est réduit à une simple boucle. Elle s’inspire de formes géométriques simples, base du style visuel du Bauhaus (dont il ne fait pourtant pas partie) : cercle, triangle, carré, ce qui lui donne une identité forte. Les graisses ne varient que très légèrement dans les lettres, il s’en dégage une impression de stabilité, d’efficacité, de sobriété et de modernisme. Avec la Futura, en termes typographiques, la révolution industrielle avait atteint sa conclusion logique.

Origines.
Parmi ses sources d’inspiration, on trouve la police Underground (maintenant Johnston), crée en 1916 pour l’identité graphique des transports londoniens. Une première esquisse de la Futura offrait des caractères plus complexes, ensuite simplifiés au maximum, mais ressortie en 1990 par The Foundry et éditée sous le nom d’Archetype Renner.

Utilisation.
Renner destinait la Futura à servir pour le corps de texte, à l’origine conçue en Light, Medium, Bold et Bold oblique. Jan Tschichold et Kurt Schwitters l’emploient largement durant les années 1930. Diffusée sous l’appellation « Europe » en France, elle inspire Cassandre dans sa recherche d’une nouvelle écriture. Elle a donné lieu à de nombreuses variations, mais elle a été plus largement utilisée dans les publicités et les gros titres dans sa forme dérivée Extra Bold Condensed (à tel point qu’elle fut critiquée par un groupe de directeurs artistiques appelé Art Directors Against Futura Extra Bold Condensed). Depuis lors, Volkswagen, la Nasa, Stanley Kubrick et Barbara Kruger, Ikea et Canal+ en ont fait un usage marquant.

Monoprix

Bon, ça date un peu… mais ça m’éclate toujours autant !
Relooking de fond pour le packaging de la marque distributeur de l’enseigne de centre-ville (magasin populaire). L’entrée de gamme M est rebaptisée MONOPRIX et se pare d’un tout nouveau code graphique à base de typo (Helvetica condensed utilisée à différentes graisses) sur des aplats colorées, et accroche humoristique favorisant la connivence avec le client (« Nous quand on s’ennuie, on pèle des tomates »). A la clé, un Epica de bronze en 2010, catégorie Packaging.
C’est l’agence Havas City qui a mené ce projet en lui apportant une touche Warholienne digne de la célébre « Campbell’s Soup ». L’artiste américain avait permis aux boîtes de soupe d’être accrochées au mur des résidences de Beverly Hills. Mais quand le pop-art entendait présenter l’art comme un simple produit de consommation éphémère, jetable et bon marché, Monoprix tend à faire le contraire en s’appuyant sur ce qui fût un mouvement artistique phare des années 1960-1970 afin de réinjecter une culture du beau dans les objets de consommation.
Mais le pop-art n’est clairement pas le seul père de la campagne Monoprix. On peut aussi penser au mouvement de Stijl (« le style ») emmené par les grands Piet Mondrian et Théo van Doesburg (et quelques autres). Ou au style international Suisse des années 50 dans l’utilisation de la typo et de la grille. Mais l’inspiration la plus évidente se trouve outre-manche, dans le packaging des « Cooks Ingredient » de Waitrose, designés en 2008 par Lewis Moberly et vainqueur des European Design Awards en 2009 (voir dans la galerie ci-dessous).
Au final, les codes utilisés ici par Monoprix inspirent un côté haut de gamme, élitiste et élégant qui, malgré tout, ne se prend pas au sérieux. Le design à la portée de tous, en quelque sorte (même si la cible, ici, ce sont surtout les « bobos »). « L’idée est de faire de chaque produit un ambassadeur de la marque. Chaque produit doit être beau, intelligent, vecteur du langage de Monoprix. » explique Rémi Babinet, Président fondateur d’Havas City. Hé bien, pour ma part, je trouve que c’est diablement bien réussi !

Pour finir, un petit florilège de quelques accroches sympas :
Emmental Français Râpé, « Il est sympa mais il est gratiné »
Pâte feuilletée prête à dérouler, « Elle a beau être bien roulée, elle a quand même l’air tarte »
Comté Affinage 4 mois minimum, « Les bons Comtes font les bons amis »
Cheese burgers, « Chez Monoprix, on est parfois à l’ouest »
Tomates entières pelées au jus, « Nous, quand on s’ennuie, on pèle des tomates »
Salsifis en boite, « Ne dites pas à vos enfants que ce sont des légumes »
Café pur arabica en grains, « Vous avez raison, le thé c’est nul »